Il était une fois un petit lapin. Il était mignon tout plein. Une jolie fourrure verte, avec des reflets dorés quand le soleil le regardait, et des reflets argentés quand la lune veillait sur lui. De petites moustaches blanches, que venait chatouiller le vent dès qu’Eole soupirait un peu fort. Une petite frimousse toujours souriante, avec un museau humant l’air en permanence, une bouche prête à croquer la vie avec une faim sans fin, et des yeux malicieux dont l’éclat rendait jalouses les étoiles du ciel.  

Ce petit lapin, mignon tout plein, était aimé par tout le monde. De tous les animaux de la forêt, aucun n’aurait même songé à lui faire du mal. Des plus intelligents aux plus bêtes, du rusé renard au borné chasseur, tous étaient unis dans ce consensus : le petit lapin, mignon tout plein, était vraiment mignon tout plein.  

Le petit lapin, mignon tout plein, avait tout pour être heureux : des amis à foison, une famille adorable, un terrier douillet, un territoire vaste, verdoyant et coloré et, surtout, des carottes à profusion, qu’il élevait lui-même avec patience et ferveur. Et effectivement, il était heureux. Il pouvait galoper joyeusement parmi les herbes folles, faire la course avec le doux vent projetant des reflets moirés dans sa fourrure verte, sauter de pierre en pierre, escalader les rochers recouverts de mousse, plonger dans l’onde pure et délicate d’un ruisseau rafraîchissant, danser dans les feuilles mortes recouvrant le sol, sous le feuillage de feu des arbres verts, jaunes, rouges, orange, arbres qui gardaient ces teintes toute l’année, en lutte perpétuelle avec le ciel pour la voûte la plus jolie du sous-bois. Le ciel, lui, préférait changer ses couleurs : bleu le jour, il se parait parfois de nuages voyageurs, blancs et cotonneux, qui animaient les cieux de formes étranges et fabuleuses, ou bien il se drapait de nuages gris, laissant tomber des rideaux de pluie, chaude et bienfaitrice, sur l’herbe grasse et les fleurs chamarrées, rideaux de pluie traversés par des éclats de soleil pour créer des arcs-en-ciel lumineux et féeriques, ou bien encore, il amassait des nuages noirs, que des éclairs violets, pourpres, orangés, venaient zébrer dans un feu d’artifice naturel, se détachant magnifiquement devant le fond sombre, accompagnés de sons tonitruants pour attirer l’attention sur eux, et d’une odeur d’ozone qui assaillait le nez, légèrement forte, un peu piquante, mais douce et agréable. La nuit, le ciel accrochait des étoiles sur un fond bleu foncé, et les faisait scintiller sous le regard bienveillant de la lune, projecteur d’ombres fantastiques et révélateur de mystères, donnant au paysage un aspect de sérénité reposante. Pour faire les transitions entre le jour et la nuit, le ciel jouait avec la lune et le soleil, les nuages et les étoiles, pour créer des visuels roses, rouges, enflammés, scintillants, brûlants, doux, apaisants, clairs et sombres à la fois, simples et majestueux, chaque jour identiques mais toujours différents. 

Il y a toujours un bouleversement, dans les histoires, une situation qui se dégrade, qui rend l’histoire intéressante, intrigante, passionnante. Un déséquilibre qu’il faut contrebalancer, un problème qu’il faut résoudre, une perturbation qui amène à souhaiter que le décor s’améliore, que la situation soit meilleure. Mais quand tout va bien, pourquoi perturber le monde ? 

Il était une fois un petit lapin, mignon tout plein. Ce petit lapin, mignon tout plein, avait tout pour être heureux. Et heureux, il l’était.

2 Responses

  1. MERCI pour cette belle histoire. J’espérais cette fin …
    Ce monde idyllique se dessinait sous mes yeux, je vivais à l’intérieur. Quand j’ai lu le mot « bouleversement » j’ai eu peur; mais non, tout finit bien ou plutôt tout continue bien, et c’est bien.

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