Avez-vous déjà eu des éclairs de lucidité ? Vous savez, quand on se déplace machinalement, sans réfléchir à ce qu’on fait, juste parce qu’on a l’habitude de le faire, et qu’à un moment donné, on prend conscience qu’on est dans un lieu qu’on connaît, mais on ne sait pas exactement pourquoi on y est et comment on est arrivé là. Ça m’est arrivé y a pas longtemps : un matin en amphi, je dormais sur ma chaise, comme d’habitude, et soudain je me suis demandé pourquoi, en cet instant précis, j’étais assis sur une chaise, dans un amphi, à Bourges, avec une cinquantaine d’autres étudiants (c’était à 8h00…), devant un prof qui, lui aussi, était sûrement arrivé là sans savoir pourquoi. 

Qu’est-ce qui a fait que je me retrouve ici, à cet instant précis, alors que, si un détail avait été différent plus tôt dans ma vie, je serais peut-être à l’heure actuelle à l’autre bout du monde en train de vendre des steaks-frites sur une plage ? Si un détail avait été différent… Et que ce changement avait entraîné des conséquences insoupçonnables… alors ce détail a de l’importance. Paradoxal, non, un détail qui a tellement d’importance qu’il serait capable de modifier une vie entière ? C’est dans ces moments-là qu’on se demande qui on est vraiment, quel est le résultat de tous ces petits détails qui forment une personnalité unique, que les autres connaissent finalement peut-être mieux que nous-mêmes. 

Ça doit être une conséquence de l’effet papillon : grâce à l’importance des détails, on finit par prendre conscience qu’on existe en tant qu’entité intelligente, ou plutôt en tant qu’entité qui a conscience de sa conscience. Voilà la différence entre les humains et les animaux : nous existons tous, mais eux ne le savent pas. 

Qu’est-ce que l’existence, alors ? Est-ce que les animaux existeraient, si on ne savait pas qu’ils existent ? Toutes les espèces encore non découvertes existent-elles ? De leur point de vue, sûrement, mais du nôtre ? Si on savait qu’elles existent, elles ne seraient pas inconnues… Et elles, ont-elles seulement un point de vue ? Sans conscience, vraisemblablement pas. Les espèces animales non encore découvertes n’existent donc pas, puisque ni elles ni nous ne pouvons prouver leur existence actuelle : ni elles ni nous se savons qu’elles existent. Il n’y a donc plus aucune espèce animale inconnue à ce jour sur la Terre… 

À propos d’existence, est-ce que, nous, nous existons vraiment ? Est-ce que nous existons réellement, ou est-ce que nous croyons seulement exister ? Comment définir l’existence ? Par la recherche d’un but ? Certains disent avoir gâché leurs vies parce qu’ils estiment n’avoir rien fait d’important, pour eux ou pour les autres. Comme s’ils n’avaient pas existé. Un peu réducteur, comme façon de voir les choses… Par un détail important, ils ont sûrement accompli, même sans le savoir, quelque chose de vital pour quelqu’un, et donc prouvé leur existence. Et même les objets existent ; pourtant, autant que je le sache, ils n’ont pas de but. Ils occupent seulement un espace donné pendant une période donnée. Ça doit être ça, finalement, l’existence : l’occupation d’un espace-temps. Deux entités physiques ne peuvent pas occuper le même espace au même instant. Il faut que l’une s’en aille pour laisser la place à l’autre. Théorie des places de parking… 

Je suis assis sur ma chaise devant mon ordi. J’y étais il y a 5 minutes. J’y serai encore dans 5 minutes. Occupation d’un espace hier, aujourd’hui, et demain. Existence dans le passé, le présent, et le futur. Donc, j’existe. 

Quoique… Peut-être que dans 5 minutes, je serai ailleurs. Si on sonne à la porte par exemple. J’irai ouvrir. “Toujours en mouvement est l’avenir”, comme disait un vieux sage vert… Mon existence future n’est donc qu’hypothétique… Tant pis, j’existe au moins dans le passé et le présent. 

Quoique… Le passé, par définition, est révolu. Je n’y existe donc plus. Mais je sais que j’y ai existé, je m’en souviens. Encore que… La mémoire n’est pas infaillible. Tient, petite expérience : essayez de vous rappeler votre ptit déj’ de ce matin : ce que vous avez mangé, où vous étiez, comment vous étiez (assis, debout, allongé ?). Pour ceux qui n’ont pas pris de ptit déj’, ça marche aussi avec le dernier repas que vous avez pris… Je suppose que vous vous souvenez tous de la situation, mais est-elle exacte ? Dans le souvenir que vous visualisez, vous vous voyez… assis à table, par exemple, avec un bol de café devant vous, de la brioche, et du nutella. Sauf que vous vous voyez certainement de dos, ou par haut-dessus. Comme si vous étiez quelqu’un d’autre dans la pièce, qui vous regardait manger. Alors que vous devriez seulement vous souvenir de ce que vous avez réellement vu, c’est-à-dire vos bras, vos mains, et, devant, le bol, la brioche, et le nutella, de la même façon que maintenant vous voyez un écran devant vous… 

En fait, le cerveau fait une supposition : vu de l’extérieur, la scène devait sûrement ressembler à ça. Sauf que vous étiez tout seul, et que personne ne peut confirmer. Alors, êtes-vous sûrs que ça s’est bien passé comme ça ? Et vos autres souvenirs, du plus récent au plus ancien ? D’une certaine manière, ils sont faux, eux aussi. 

Personne ne peut affirmer que ce dont il se souvient s’est réellement passé, même s’il s’en souvient parfaitement. Et je laisse de côté les trous de mémoire et tout ce que vous n’arrêtez pas d’oublier quotidiennement : la mémoire n’est pas fiable. L’existence dans le passé n’est donc hélas pas prouvable… Tant pis, j’existe au moins dans le présent. 

Quoique… C’est quoi, le présent ? Un intervalle de temps ? Une durée, variable, qui correspond à l’action actuelle ? Pour moi, mon présent, c’est l’écriture de cet article. Pour vous, votre présent, c’est la lecture de cet article. Mon présent est donc différent du vôtre, par sa nature et sa durée, puisque vous mettez certainement moins de temps à lire cet article que moi à l’écrire, et que, dans cet exemple, mon présent correspond à votre futur… 

Et si chacun possède son propre présent, qu’est-ce qui prouve aux autres son existence ? Et puis, le présent ne peut pas se définir par une durée, puisque dans une durée, il y a une notion de passé, présent et futur. Il faut donc enlever le passé et le futur d’une période pour trouver un véritable présent. Un présent instantané. Chose inconcevable. On ne peut pas définir un instant, c’est tellement éphémère que, rien que le temps de penser à un instant précis, il est déjà terminé. Pour nous, le vrai présent ne peut pas exister. 

Futur inconnu, passé incertain, et présent indéfini. Mon existence dans le temps est alors inconcevable. 

Je n’existe donc pas… et vous non plus ! 

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