Nuages gris, atmosphère polluée, métros bondés, parisiens pressés. Toujours cette course contre le temps, encore accélérée s’il est mauvais, pour éviter de se faire mouiller, enneiger, givrer. Précéder les éléments, leur échapper, courir en avant, plus vite que ne souffle le vent. La règle d’or est de foncer, vite, toujours plus vite. Foncer pour échapper au retard, au loupé, aux contrariétés, foncer, même sans visibilité. Mais vers quel lieu, quel endroit, vers quoi ? Vers le futur, rattraper son avenir avant d’être dépassé, toujours s’en rapprocher, plus près, le toucher. Le passé est sans intérêt, il faut aller de l’avant, gagner du temps, l’inconnu est l’ennemi, rattraper son destin c’est s’en affranchir, pouvoir choisir. Évolution pressée, les détails se floutent, les décisions se prennent en hâte, pas le temps de regretter en cas de raté, toujours continuer pour réparer. Foncer encore plus, chercher la salvation pour contrecarrer les aberrations, suivre son trottoir gris, uni, traverser les carrefours, changer de direction, sans même regarder les panneaux d’indication. Le champ de vision se réduit avec la vitesse, les bas-côtés disparaissent, le décor s’affaisse. Les détails abdiquent, pris de panique. Pourquoi continuer à s’aventurer si vite ? Foncer dos au passé, encore accélérer, c’est ne plus savoir où on met les pieds, ne plus savoir où aller, ne pas voir le mur, être incapable de l’éviter…  

Pourquoi vous obstiner à foncer ? 
Ralentissez ! Décélérez ! 
Pourquoi pas même s’arrêter ? 

Prendre le temps, se faire attendre. Prendre le temps, ne pas le rendre. En profiter pour profiter. Regarder les détails, l’herbe entre les pavés, les cailloux argentés, les fleurs par le vent courbées. Écouter la vie, des feuilles le bruissement, des oiseaux les chants, des insectes le bourdonnement. Sentir Gaïa, s’en emplir les poumons, humer l’odeur d’un feu de bois, l’humus de la forêt d’automne, le sel de la grève marine. Toucher le monde, la fraîcheur d’un torrent d’été, le moelleux de l’herbe fraîchement coupée, la douceur d’un soleil d’hiver sur un corps dénudé. Goûter la terre, le doux sucré de baies récoltées au hasard d’un sentier, la force de la menthe à l’instant coupée, le piquant d’un citron acidulé. Profiter de la vie, flâner tête en l’air, regarder les arbres, les oiseaux, les nuages, les étoiles. Le soleil se couche, il étend des ombres sur les plaines vides, enneigées, lisses, calmées. Leur douceur apaise le cœur. Les couleurs se mêlent, rouges, mauves, blancs, chatoyants. Le vert s’insinue, le bleu perce, des touches de jaune s’invitent, rameutent les oranges, se font rejoindre par quelques ocres. Le noir accentue le contraste, donne du relief, tandis que les mornes gris battent en retraite. Un bambin s’émerveille, insouciant, devant un carrousel tournoyant. D’autres gens se chamaillent joyeusement, les rires fusent, revigorants. Une cascade humidifie le sol alentour, les gouttes prennent toutes le même chemin, sans dévier, alors qu’il y en a des milliers, qu’elles pourraient s’éparpiller. Le bruit cristallin de leur surface brisée sur les rochers emplit l’air, se mélangeant à la douce musique du silence. Une araignée sèche sa toile humidifiée par la rosée. Une tasse de chocolat, saupoudré de cannelle, réchauffe des mains refroidies par la récente bataille de boules de neige, tandis que des flocons saupoudrent le paysage pour effacer les traces du conflit. Un poisson file dans son bassin, effrayé par une mouette de passage, pourtant pacifique. Une vache paît, rumine sans se poser de questions. Une souris se faufile entre les rails, se cache en sentant le train arriver. Un escargot s’aventure en terrain inconnu, sème une trace pour ne pas s’égarer… 

Parmi tous ces humains pressés, vidés, qui gravitent dans cette immensité, qui a remarqué cette tranquillité ? Qui s’arrête encore pour chercher, scruter, admirer ? Nul besoin de s’acharner à la gâcher, la beauté est là où on l’a laissée. Ici et là, devant, dessous, dessus, partout. Prenez donc le temps de l’admirer, au lieu de foncer tête baissée. Prenez donc le temps de vous amuser, de rire, d’embrasser, de contempler, au lieu de ne jamais freiner ! Prenez le temps de sourire, prenez le temps d’aimer, prenez le temps de vivre ! Prenez-le, il est encore temps…

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