24 Décembre. Paris. Soir du réveillon. Rues décorées : guirlandes lumineuses, arbres enrubannés, paquets accrochés aux réverbères. Chacun s’active afin de finir à temps les préparatifs pour la soirée : achats de dernière minute, emballage de cadeaux, préparation du repas festif. Foule pressée, embouteillages, trottoirs encombrés. Les passants, anonymes, se croisent sans se regarder, se hâtent dans la nuit froide de cette fin d’année. 

Seul, un homme ne semble pas gagné par cette effervescence. Il marche, sans savoir où ses pas le conduisent, sans but précis : Léon erre parmi les badauds, à la recherche… de quoi au juste ? Il n’a pas de famille, pas de travail, pas même une maison où dormir. Ses vieilles chaussures trouées lui font mal aux pieds. Il s’arrête un instant devant un vendeur de marrons chauds. Il n’a pas envie de châtaignes, il souhaite juste se reposer et se réchauffer un peu. 

Depuis des années, il tente de survivre ainsi, seul, dans les rues de Paris. Cela fait longtemps qu’il a perdu la notion du temps. A voir l’agitation qui règne dans la ville, on doit être fin Décembre. Il observe un instant ses concitoyens qui s’affairent : la plupart porte des paquets-cadeaux, et des pères noëls accostent les passants devant des boutiques ; on doit être la veille de Noël. 

Noël. De fête religieuse, elle s’est progressivement transformée en fête commerciale, mais surtout en fête féerique pour tous les enfants, durant laquelle ils s’émerveillent des présents qu’ils reçoivent. Et les parents s’émerveillent de voir leurs enfants émerveillés devant les jouets qu’ils leur offrent. La famille entière, émerveillée, est heureuse. Dans tous les foyers, la communion de Noël réchauffe les cœurs et ressoude les familles. 

Léon, lui, n’a nulle part où passer Noël. Le seul lieu qui veuille bien l’accepter durant l’hiver est un refuge pour sans-abri. Il hésite à y passer la nuit : il voudrait, pour une fois, un peu de chaleur humaine. Il sait qu’au refuge, les bénévoles lui offriront un repas chaud, un lit pour la nuit, et peut-être même un cadeau en l’honneur de Noël. Mais, au milieu de ses camarades, qui, comme lui, sont délaissés par la société, il devra surveiller le peu d’affaires qu’il conserve encore sur lui : un morceau de pain durci qu’il garde précieusement, ses vêtements, un peu de monnaie, une vieille photo cornée et jaunie par le temps. 

Ce simulacre de fête serait de plus encore plus impersonnel et anonyme s’il se retrouvait au milieu de ses semblables, noyé dans l’indifférence, alors que la seule chose qu’il souhaite est un contact humain, quelqu’un qui le regarde, discute, s’intéresse à lui, personnellement, en tant qu’être humain et non comme un mendiant à qui l’on glisse une pièce sans lui jeter un regard. 

Alors, Léon reprend sa route. Ce soir, il dormira dans le métro. Il pense parfois que sa vie pourrait être bien pire, si ce lieu n’existait pas : c’est le seul endroit où il puisse se réchauffer à tout moment de l’année. Lentement, il se dirige vers la bouche sombre qui l’avalera pour la nuit de Noël. Il passera le réveillon seul. Comme chaque année, aussi loin qu’il se souvienne. Ce soir, synonyme d’espoir, de paix, de communauté humaine rassemblée, une fois n’est pas coutume, autour d’un concept commun, il a l’impression d’avoir raté sa vie, car la société n’accepte pas les différences. Lui, rebelle, refusait de suivre un chemin tout tracé, de rentrer dans le moule. Résultat, tout, chaque jour, lui rappelle que sa vie est l’entière opposée de celle de ses concitoyens. Même son prénom, ce soir, semble le narguer de cette inversion. Même à Noël, Léon reste exclu, seul au monde parmi des milliers de Parisiens, se demandant pourquoi il s’obstine encore à vivre.

One response

  1. Histoire émouvante.
    Je n’avais pas compris Léon-Noël… Tout est résumé dans ces deux mots.

    Chaque texte que j’ai lu pour le moment, est différent, très bien écrit, prenant. Il faut continuer à écrire.

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