(Une histoire qui date, un regard vers le passé : j’ai retrouvé une vieille rédaction pour un cours de français du lycée, en seconde. Je ne me souviens plus s’il y avait un sujet précis, en tout cas, le thème était « Travail d’écriture sur le Discours Rapporté et le Comique. » Voici le texte tel qu’il a été écrit, sans aucune correction, mis à part le titre que j’ai ajouté pour l’occasion). 

Bien avant notre ère, il y a un siècle six décennies deux ans trois mois une semaine cinq jours et dix heures, pour être précis, vivaient non loin d’ici (à environ trente kilomètres en prenant l’A6 direction Lyon, sortie 27) un couple de châtelains, propriétaires d’un château, et qui y vivaient. 

Le couple de châtelains était composé du châtelain, Charles, qui se prenait pour un grand monarque, et de la châtelaine, Charlotte, qui se prenait pour un gâteau. Charles et Charlotte, un heureux jour de décembre, avaient eu une fille, Charlottine. A cause de ses vêtements, souvent noirs, on la surnommait Charlottine napée de chocolat. 

Un soir, alors que Charles, Charlotte et Charlottine s’étaient réunis pour leur dîner quotidien, dans la plus grande de leurs 122 salles à manger, l’atmosphère était tendue comme une corde à linge : Charlottine était nerveuse, car elle avait une grande nouvelle à annoncer à ses parents. Elle avait attendu le dîner pour qu’ils soient tous trois réunis. Mais elle n’avait pas prévu de se retrouver dans la plus grande salle à manger : en effet, pour varier, chaque jour, la famille mangeait dans une salle différente, si bien qu’ils ne prenaient leurs repas que trois fois par an au même endroit.  Et encore, ils alternaient leurs places autour des tables. Dans cette immense salle, donc, Charlottine se sentait toute petite, mal à l’aise. 

Ses parents et elle étaient regroupés à une extrémité de la grande salle rectangulaire qui pouvait facilement accueillir 150 à 200 convives, et ce, qualité exceptionnelle, en restant toujours polie. 

Charles présidait, avec à sa droite sa fille, et à sa gauche sa femme. Cette dernière, s’adressant à son mari : « Michel, c’est quand tu veux ! » Elle l’appelait Michel pour le taquiner, car Charles ressemblait étrangement à Michel Galabru (un acteur qui n’était d’ailleurs pas encore né à l’époque), aussi bien au niveau du physique que du caractère bourru, et du niveau sonore de sa voix. 

Répondant à Charlotte, Charles, redressant sa couronne de prétendu monarque, déclara : « Très bien… Tout le monde est prêt ? … Alors… Mangeons ! » 

Au signal, tous les parents de Charlottine commencèrent à s’empiffrer. Comme sa fille ne mangeait pas, Charlotte, se rendant compte que quelque chose n’allait pas, déclara, voulant ainsi remonter le moral de sa fille : « Tu es encore plus belle qu’au déjeuner ! » C’était vrai, car Charlottine s’était changée : au déjeuner, elle portait une robe à rayures noires et noires, alors qu’elle avait ce soir-là revêtu sa plus belle robe, avec des pois noirs sur fond noir. 

Encouragée par le compliment de sa mère, Charlottine se jeta à l’eau : elle déclara, pendant qu’un serviteur lui amenait de quoi se sécher : 

« _ Papa, Maman, Père, Mère, j’ai une grand nouvelle à vous annoncer. 

_ Qu’est-ce ? demanda son père. 

_ Une nouvelle ? Eh bien, c’est un événement, un fait nouveau, un renseignement. 

_ Merci, nous savons ce qu’est une nouvelle. Ce que nous demandions, c’est en quoi consiste cette nouvelle. 

_ Je vais me marier… 

_ … 

_ Mais c’est absolument formidable, s’exclama Charlotte, qui est l’heureux élu ? 

_ C’est un jeune homme fort, beau, intelligent, doux, romantique, il est très amoureux de moi, et c’est réciproque. 

_ Très bien, s’extasia la mère, il semble avoir toutes les qualités. Comment s’appelle-t-il ? Qui est-ce ? 

_ Il s’appelle Charly. C’est… heu… le fils du boucher du village… » 

ATTENTION : La réplique qui aurait dû suivre est tellement violente que le comité de censure a décidé de supprimer la fin du dialogue. Les propos rapportés ne seront donc pas exactement prononcés. 

Ce qu’elle pouvait être idiote ! A quoi cela servait-il d’épouser un homme si ce n’était pas pour l’argent ? Pourquoi croyait-elle que Charlotte l’avait épousé ? C’était pour l’argent, bien sûr, il n’y avait aucune autre raison ! Et comment allait-il finir sa vie, s’il n’y avait pas une entrée d’argent ? Charles était bouleversé par la nouvelle, et se moquait éperdument du bonheur de sa fille. 

Charlotte, par contre, avait l’air moins désemparée : son vicieux esprit malin prévoyait déjà un plan d’attaque. C’était vrai que l’amour n’était pas primordial dans un mariage, mais si cela faisait plaisir à Charlottine, de se marier avec quelqu’un qu’elle aimait, cela pourrait être comique : personne n’avait d’expérience sur les mariages amoureux ; cela promettait peut-être de belles surprises. Et puis, si Charly était aussi beau et fort que Charlottine le prétendait, Charlotte pourrait peut-être, par un stratagème quelconque, l’attirer… Elle n’était peut-être plus toute jeune, mais elle avait encore du charme, cela pouvait servir… Oui, à la réflexion, Charlotte pensait que ce n’était pas une si mauvaise idée. Et puis, peut-être qu’elle pourrait obtenir de la viande gratuite. 

Alors que la discussion entre Charles et Charlottine commençait à diminuer d’intensité, un serviteur entra, et annonça qu’un jeune homme demandait audience auprès de Son Excellence. Charles demanda de qui il s’agissait, puis, après que le serviteur lui eut répondu que Charly Le Boucher semblait être le demandeur d’audience, il dit au serviteur qu’il pouvait faire entrer Charly après lui avoir donné un calmant. 

Le serviteur revint quelques instants plus tard avec une vingtaine de cachets, prévus pour les chevaux, espérant que cela suffirait. Après quoi, il fit entrer Charly. Charles, Charlotte et Charlottine se tournèrent vers lui, le dévisagèrent en le passant sous toutes sortes de détecteurs de métaux, à la recherche d’une bourse d’or bien remplie en guise de dot, mais le seul objet métallique qu’il portait était son couteau de boucher. 

Charlotte l’aima tout de suite : grand, beau, fort, blond aux yeux bleus, une carrure athlétique, il avait tout pour plaire. Si elle avait été plus instruite, Charlotte l’aurait comparé à un dieu grec. On s’attendait à ce que des cœurs rouges dansent autour de lui, tels des auréoles : c’était quelqu’un dont le charme fascinait. 

A l’inverse, Charles ne semblait pas apprécier celui qu’il considérait comme un rival : 

« _ Alors comme ça vous vouliez épouser notre fille ?! 

_ Pourquoi criez-vous ainsi ? 

_ Nous croyions que vous étiez bouché ! 

_ Oui, je suis boucher, et alors ? Ce n’est pas une raison pour crier de la sorte. 

_ Mais si vous êtes bouché, comment voulez-vous nous entendre si nous parlons normalement ? cria-t-il. 

_ Eh bien, comme tout le monde, avec mes oreilles… 

_ Mais alors, vous n’êtes pas bouché ? 

_ Non, je ne suis pas bouché ; je suis boucher, pas bouché. 

_ Ah ! Nous croyions que vous étiez bouché, et non boucher, alors qu’en fait, vous êtes boucher et non boucher, c’est cela ? 

_ C’est cela. 

_ Quelqu’un a de l’aspirine ? » demanda Charlotte. 

Charlotte, fatiguée par ce bavardage qu’elle n’arrivait pas à suivre, sortit pour essayer de le rattraper, et demander au serviteur un puissant somnifère. 

Charlottine, quant à elle, était ébahie, bouche bée, paralysée ; elle avait littéralement branché son cerveau sur « admiration béate » dès que Charly était entré. Un légume avait plus d’expression qu’elle, et même une tomate bien mûre n’était pas aussi rouge. 

Les seuls qui restaient opérationnels, Charles et Charly, s’envoyaient des noms d’oiseaux à tour de rôle. 

« _ Et nous, nous vous disons que vous n’épouserez pas notre fille tant que vous ne serez pas riche ! 

_ Et comment voulez-vous que je devienne riche sans épouser votre fille ? 

_ Vous n’avez qu’à faire comme nous. 

_ Et comment avez-vous fait ? 

_ Nous avons eu un héritage, dit-il avec un air de satisfaction diabolique. 

_ Ma seule famille est mon père et il n’a pas d’argent ! 

_ De toute façon, même si vous étiez riche, vous n’épouseriez pas notre fille : vous n’êtes qu’un vulgaire boucher. Vous épouserez notre fille quand vous serez riche et noble ! 

_ Dans ce cas, j’épouserai Charly même sans ta permission ! annonça Charlottine, dont l’intervention surprit tout le monde. 

_ Dans ce cas, nous te chassons de notre maison ! 

_ D’accord… Au revoir Père… 

_ Mais ?? … » 

Charlottine entraîna Charly hors de la pièce, prit ses économies et quitta la maison, alors que son père, abasourdi, continuait tout seul : « Nous disions cela pour plaisanter. » 

Charlotte, qui était allée dormir, se réveilla le lendemain avec un affreux mal de tête, surprise de ne trouver personne dans la maison, à part Charles, toujours assis à la table, critiquant tout à voix basse, gémissant sur son sort, en proie à une immense dépression qui rendait malheureuse toute personne se trouvant à proximité. A côté de lui, se balançait mollement le serviteur, pendu au bout d’une corde. 

Charly et Charlottine s’enfuirent, parcoururent le monde, vécurent longtemps heureux et eurent beaucoup d’enfants.

2 Responses

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *